Start Here

L’art public n’a pas de durée requise : il fonctionne quand il amène à s’inscrire activement dans son propre temps. Il peut captiver pendant un instant où pendant toute une vie ; il peut disparaître ou bien revenir quand nous l’avons oublié. En lui accordant du temps, nous ne le contrôlons plus, ce qui invite à la fois à l’imagination et au changement social. Start Here proposait une réflexion éphémère sur notre orientation temporelle dans le parc-entrée de la Cité internationale universitaire de Paris pendant les Journées du patrimoine du 20 et 21 Septembre 2008. Créée par l’artiste Valentina Loi et moi-même, le dispositif confrontait le grand public à sa propre agentivité et à sa capacité à agir pour améliorer l’espace public. L’installation extérieure et publique, temporaire et spécifique à la Cité, consistait en neuf lettres de neige formant les mots « Start Here » sur les pelouses de la Maison internationale. Cette expression anglaise peut se traduire de multiples façons telles que : « Commencez ici ! », « Début » et « Départ ». La police de caractère Impact utilisée ressemblait à celle des banderoles de départ de courses automobiles pour ainsi mieux attirer l’attention des spectateurs. Chaque mot mesurait 250 cm. x 650 cm. pour une épaisseur variant en fonction de la fonte de la neige. Pendant les deux jours qu’a duré la manifestation, nous avons effectué une sorte de performance en ajoutant de la neige sur les lettres de manière continue afin de lutter contre la disparition de l’œuvre.

La production s’est échelonnée sur plus d’un an – des premiers dossiers de demande de subventions jusqu’aux essais techniques, en passant par la construction de gabarits pour installer les lettres aussi vite que possible sur place. Il aura fallu quelques expérimentations pour trouver le bon mélange : de la glace pilée étalée sous du Grain d’eau (un hydro-rétenteur agricole), pour offrir de la neige aux passants malgré la vague de chaleur des derniers souffles de l’été. En utilisant une matière aussi éphémère et rarement vue sous cette forme à Paris, nous avons voulu encourager le spectateur à réfléchir à notre environnement, mais également amener celui-ci à interagir avec l’installation de manière ludique.

Soutenue par les Fonds des Initiatives de la Cité Culture, l’œuvre a été envisagée comme une animation qui accompagnait une manifestation visant à mettre en valeur le patrimoine français. Les circonstances de l’installation nous ont permis de faire de la médiation sur le projet à travers des discussions avec les curieux. L’événement se voulait une critique des récits historiques immuables dans un cadre censé montrer et rendre accessible au public d’éminents bâtiments et monuments de l’histoire de l’art, en mettant en valeur la perception du temps ancrée dans l’idée du renouvellement. Si chaque instant est un nouveau début possible, le public a la liberté et la possibilité de le saisir et de le modeler à nouveau. Pendant deux journées de forte fréquentation, tous les résidents et visiteurs de la Cité universitaire ont ainsi été incités à saisir les rapports qui existent entre les mots « Start Here » et leur propre parcours en ces lieux.

Start Here expose un questionnement sur les liens souhaitables que devraient entretenir les êtres humains face à leur environnement en remettant en cause la posture technocratique qui suppose que l’homme surpuissant peut maitriser le temps. Nous avons utilisé une matière hors-saison afin de donner un exemple simple mais frappant de la mainmise de l’homme sur la nature. L’installation en neige dans un tel cadre temporel et estival représentait un geste ironique ni écologique, ni durable. Lorsque nous avons cessé d’alimenter l’œuvre en neige, celle-ci s’est désintégrée en raison de la chaleur et du passage de temps. Cette décomposition est le signe que nous avons besoin de vivre en symbiose avec notre écosystème au lieu de chercher à le maitriser et que chaque « début » a des contraintes imposées par l’environnement même. Il s’agissait ici d’aborder le devenir d’une perspective d’engagement social de la lutte contre le changement climatique, tant à l’échelle locale que mondiale.

L’intervention ludique était un clin d’œil aux batailles de boules de neige et suggérait que la communication des problèmes environnementaux pourrait se faire à travers la poésie, le jeu et le rituel aussi bien que par des dispositifs didactiques. Elle mène les spectateurs à réfléchir aux conséquences écologiques, sociales et culturelles de leurs comportements envers notre planète. L’injonction « Start Here » tend également à exprimer l’esprit de joie, de partage et de dialogue qu’il faut essayer de trouver à toutes les étapes de la vie. Si les passants n’ont pas joué directement avec la neige, ils ont pu observer les altérations provoquées par la fonte et imaginer des scènes hivernales qui ont parfois lieu sur le site. L’œuvre qui se déroule dans le temps rappelle que la vie se compose d’actions et que nous avons des choix à faire concernant l’évolution de l’espace qui nous entoure. En focalisant l’attention du public sur elle-même, la sculpture publique souligne sa capacité d’agir au niveau individuel et collectif.

– Extrait de Kasia Ozga, La Sculpture Aujourd’hui entre Objet et Événement, Thèse : Arts Plastiques : Université de Paris 8 : 2013. p.349-353 :

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